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éditions agullo - Page 3

  • ALEXANDRE COURBAN : PASSAGE DE L'AVENIR, 1934. SUCRE CANDIDE.

    alexandre courban,passage de l’avenir 1934,éditions agullo

    Service de presse.

     

    C'est parfois tout un parcours de vie qui vous conduit vers l'écriture et il est toujours intéressant de se pencher sur la biographie d'un auteur ou d'une romancière pour dresser des parallèles entre leur vécu et la fiction qu'ils mettent en scène, ceci plus particulièrement lorsqu'il s'agit d'une personne primo-romancière. Nouvel auteur figurant au catalogue des éditions Agullo, historien de formation, Alexandre Courban a soutenu une thèse consacrée au journal L'Humanité, de sa création en 1904 à son interdiction de parution en 1939. En lien avec cette thèse, Alexandre Courban a d'ailleurs publié L'Humanité, de Jean Jaurès à Marcel Cachin (1904-1939) aux éditions de l'Atelier. Outre son intérêt pour l’histoire, on relèvera également un engagement marqué, puisqu'au sein du groupe communiste et citoyen, il officie comme Conseiller d'arrondissement à la Mairie du 13e Arrondissement de Paris et comme délégué aux anciens combattants, à la mémoire et au patrimoine. A la lecture de ces aspects de son parcours, on ne s'étonnera donc pas que son premier roman, Passage De L'Avenir, 1934, soit un polar historique s'inscrivant dans une grande saga à venir, prenant pour cadre la période trouble de l'entre-deux-guerres où l'on observe les prémices de ce mouvement du Front populaire par l'entremise du commissaire Bornec et du journaliste à L'Humanité Gabriel Funel qui évoluent tous deux dans ce quartier du 13ème arrondissement si cher à l'auteur et que Léo Malet a sublimé dans Brouillard Au Pont Tolbiac.

     

    Rien ne va plus à Paris en février 1934, où l'extrême droite se fait de plus en plus menaçante tandis que les premières manifestations ouvrières sont réprimées dans le sang ce qui ne décourage pas les participants qui font désormais front commun. Dans un tel contexte, on se moque bien de cette jeune femme que l'on a repêchée dans la Seine. Après un examen sommaire, les autorités sanitaires concluent à un suicide, en dépit des doutes du commissaire Bornec. Personne ne se manifeste pour récupérer le corps et aucun avis de disparition ne correspond au profil de la victime. Désemparé, le policier se tourne vers journaliste Gabriel Funel, afin qu'il publie un article dans L'Humanité qui lui permettra peut-être d'identifier la noyée de la Seine. A ce duo tout en opposition qui s'est formé malgré tout, se joint Camille une jeune ouvrière embauchée à la raffinerie de la Jamaïque et dont le patron se retrouve embringué dans une drôle d'affaire autour de la spéculation sur le sucre. Machination ou simple fait divers, c'est ce que vont déterminer ce trio disparate, sur fond de révoltes et d'exactions qui bruissent dans les rues populeuses du quartier. 

     

    Hormis la création de deux semaines de congés payés et la réduction du temps de travail à 40 heures par semaine, on ne connaît pas grand-chose du Front populaire qui voit l'émergence d'une coalition des partis de la gauche réagissant à la montée en puissance des ligues fascistes et plus particulièrement à la dramatique journée d'émeute du 6 février 1934. Dans ce contexte d'une France extrêmement divisée et encore secouée par le scandale politique de l'affaire Stavisky, Alexandre Courban entame donc cette fresque historique aux inclinaisons politiques marquées, au sens large du terme, sans pour autant verser dans le manichéisme. Ainsi Passage De L'Avenir, 1934 s'inscrit dans une atmosphère naturaliste et sociale s'articulant autour d'un fait divers pour mettre en exergue le labeur des ouvrières qui, en plus de la pénibilité de la tâche à laquelle elles sont assignées, doivent faire face aux comportements libidineux de contremaitres peu scrupuleux. Outre le fait de s'intéresser plus particulièrement aux ouvrières, Alexandre Courban se penche également sur le sort réservé aux travailleurs immigrés que l'on croise au détour de ces machines infernales qui broient littéralement le personnel de l'usine. Dans un style extrêmement sobre qu'il convient de souligner, l'auteur décline ainsi le quotidien de cet arrondissement populaire de Paris où l'on côtoie une importante communauté ouvrière s'entassant dans des logements insalubres à l'image de la Cité Jeanne d'Arc, théâtre de foyer de révolte vivement réprimé par les forces de l'ordre et dont on perçoit toute la violence au cours de l'intrigue. C'est dans cet environnement populaire qu'évolue le commissaire Bornec qui tente d'élucider le mystère entourant cette jeune femme noyée tandis que le journaliste Gabriel Funel s'intéresse à une affaire de spéculation sur le prix de sucre éclaboussant le directeur de la raffinerie de la Jamaïque nous permettant ainsi d'avoir une vision de ce qui se trame dans les locaux de cette immense entreprise faisant référence à la raffinerie Say qui fut l'une des plus grandes usines de Paris avant de fermer ses portes en 1968. On le voit, Alexandre Courban distille habilement son intrigue entre fiction et faits historiques au détour de deux enquêtes qui vont s'entremêler subtilement, presque l'air de rien, pour mettre en perspective les prémices de ce Front populaire qui s'amorce et dont la presse, toute puissante, rend compte en fonction du point de vue en lien avec l'inclinaison politique du journal à l'instar de L'Humanité bien évidemment mais aussi du Figaro et de bien d'autres journaux qu'Alexandre Courban évoque tout au long d'un roman épique nous permettant de croiser des personnalités qui ont forgé cette période de l'histoire méconnue, mais également toute la nuée de militants se rassemblant dans les cortèges des grandes manifestations parisiennes jalonnant cette année 1934. Accompagné de Bornec et de Funel dont on apprécie les caractères nuancés, l'auteur nous donne donc l'occasion d'aller à la rencontre d'une galerie de personnages aux antagonismes marqués, reflets emblématiques de la société de l'époque, à l'exemple de la jeune ouvrière Camille, dont on regrettera le rôle trop secondaire, ou de l'inquiétant chauffeur Albert Sainton, un militant de l'association des Croix-de-Feu regroupant les anciens combattants de la Grande Guerre. Tout cet ensemble hétérogène s'embrase magnifiquement dans la noirceur d'un récit historique extrêmement dense, allant à l'essentiel, totalement dépourvu d'esbroufe, faisant de Passage De L'Avenir, 1934 un roman d'une remarquable puissance et d'une formidable richesse dont on se réjouit de découvrir la suite.

     

    Alexandre Courban : Passage De L'Avenir, 1934. Editions Agullo 2024.

    A lire en écoutant : Complainte De La Seine interprétée par Marianne Faithfull. Album : Tweetieth Century Blues: An Evening In The Weimar Republic. Reverso Musikproduktionges.mbH, Vienna, Austria.

  • Yan Lespoux : Pour Mourir, Le Monde. Naufrage.

    IMG_0917.jpegAprès plus d’une décennie à décortiquer la littérature noire au sein des pages du blog Encore du Noir qui fait référence dans le domaine, une multitude d’articles pour diverses revues telles que 813, Marianne, Alibi et Sang Froid ainsi que plusieurs animations pour des festivals dédiés au genre, il n’était pas étonnant que Yan Lespoux se lance dans l’écriture en nous proposant tout d’abord Presqu’îles (Agullo 2021), recueil de nouvelles autour d’une partie plus méconnue de la région du Médoc avec quelques récits imprégnés d’une certaine noirceur, propre au genre qu’il affectionne. Plus surprenant, son premier roman Pour Mourir, Le Monde s’inscrit dans le registre de l’aventure avec un récit historique passionnant se déroulant au début du XVIIème siècle où l’on traverse les océans à bord de gigantesques nefs pour se rendre à Bahia et à Goa avant d’échouer sur les plages sauvages du Médoc. On pouvait pourtant déjà trouver quelques indices dans Presqu’îles avec notamment cette citation de Claude Masse, un ingénieur géographe au service du
    yan lespoux,éditions agullo,pour mourir le monderoi Louis XIV qui dépeint les médocains en disant d’eux « qu’ils étoient plus barbares et inhumains que les plus grands barbares » et qui figurera parmi les personnages historiques jalonnant l’intrigue de Pour Mourir, Le Monde. Et puis, toujours dans Presqu’îles, il y a cette nouvelle où un vieillard arpente la plage pour contempler l’épave du navire échoué qui l’a conduit en France pour fuir l’Espagne fasciste de l’époque. Déjà une histoire de naufrage. Avec Pour Mourir, Le Monde, il en est justement question car Yan Lespoux s’est librement inspiré du récit de l’écrivain dom Francisco Manuel de Melo, publié en 1660 et de celui du capitaine des galions,
    dom Manuel de Meneses, paru en 1627 et dont on peut découvrir les péripéties dans
    Le Grand Naufrage de l'Armada des Indes yan lespoux,éditions agullo,pour mourir le mondesur les côtes d'Arcachon et de Saint-Jean-de-Luz (1627) publié aux éditions Chandeigne. C’est donc autour de cet événement historique et du parcours de ces nobles portugais que Yan Lespoux décline, avec un indéniable talent, la destinée de deux hommes et d’une femme de peu dont on suit les pérégrinations que ce soit sur les océans bien sûr, mais également en Inde et en Amérique du Sud pour converger, dans un final époustouflant, sur les plages désolées d’un Médoc éblouissant que l’auteur dépeint avec l’affection qui le caractérise. Roman épique et tonitruant, Pour Mourir, Le Monde nous rappelle des récits d’aventure tels que Trois Mille Chevaux Vapeur (Albin Michel 2014) d’Antonin Varenne et pour l’aspect maritime, des séries telles que les Aubreyades (J’ai Lu) de Patrick O’Brian ou Les Passagers du Vent (Glenat) de François Bourgeon nous permettant de ressentir notamment cette promiscuité étouffante au sein de ces formidables vaisseaux de bois bravant les tempêtes pour conquérir le monde tout en livrant des combats d'une intensité extrême.

     

    En 1616, Fernando Texeira quitte Lisbonne en embarquant à bord du São Julião pour incorporer la garnison de Goa en tant que soldat au service du roi. C'est l'esprit d'aventure qui l'anime avec cette envie tenace de s'extraire de sa condition, tout en ayant la sensation de n'être jamais présent au bon endroit au bon moment.
    En 1623, Marie fuit Bordeaux, où elle travaillait dans une taverne, après frappé un homme qui tentait de s'en prendre à elle. Certaine de l'avoir tué, elle se place sous la protection de son oncle Louis qui est à la tête de toute une bande de pilleurs d'épave écumant les plages désolées et inaccessibles de la région du Médoc.
    En mai 1624, Diogo Silva voit ses parents disparaitre sous le bombardements des navires hollandais s'emparant de la ville de Saõ Salvador de Bahia. Fuyant le fracas d'un combat perdu d'avance, il trouve refuge dans la forêt environnante et se lie d'amitié avec Ignacio, un indien mutique, se joignant à ces soldats de fortune pour se lancer dans une guérilla sans relâche, tout en comptant sur les renforts d'une armada de caraques portugaises prête à tout pour reprendre la cité perdue. 
    Trois destins disparates, évoluant dans un monde de fureur en plein bouleversement, qu'une tempête dantesque et qu'un naufrage dramatique vont réunir pour les projeter dans les dédales infernaux de marais et de dunes sauvages où ils seront contraints de se livrer à des combats sans merci afin de survivre dans un environnement cruel et sans pitié. 

     

    Sans nul doute, livre de la rentrée, on pourra aisément estimer, sans exagération, que Pour Mourir, Le Monde figurera parmi les romans marquants de l'année 2023 pour finalement intégrer la courte liste des ouvrages imprégnant durablement l'esprit des lecteurs les plus assidus et les plus exigeants. On saluera tout d'abord l'extraordinaire travail des éditions Agullo nous proposant un ouvrage d'une beauté décoiffante avec cette impressionnante carte de la ville de Goa datant de 1526 qui orne la jaquette tandis que l'on découvre sur la couverture et le quatrième de couverture, deux gravures illustrant l'histoire de la colonisation portugaise au Brésil, permettant ainsi de mettre en valeur un texte d'une intensité peu commune. Un écrin somptueux nous donnant l’occasion de nous immerger encore plus aisément dans l’atmosphère foisonnante d’une intrigue conciliant, dans un équilibre remarquable, les hauts faits de l’histoire de ce début du XVIIème siècle, tels que la succession de conquêtes de comptoir, de combats navals et de naufrages, avec le parcours de Fernando, de Diogo et de Marie nous conduisant à percevoir, à la hauteur de ces deux hommes et de cette femme du peuple, tous les aspects d’une succession d'aventures époustouflantes se déclinant sur un rythme étourdissant. On appréciera d'ailleurs le caractère nuancé de ces personnages au comportement parfois ambivalent qui tentent de trouver leur place au sein d'un monde en plein bouleversement avec le déclin des colonies lusophones tandis qu'émerge, de manière sous-jacente, la puissance des anglais et des hollandais. Et c'est plus particulièrement avec Fernando que l'on ressent cette volonté de s'approprier quelques ersatz de cette richesse convoitée avec tout l'épuisement qui en résulte en s'achevant sur les côtes désolées du Médoc dont on perçoit toute la beauté mais également toute la dureté par le prisme du regard de Marie parcourant ces territoires sauvages en compagnie des vagants et des costejaires dépouillant naufragés et pèlerins égarés tout en récupérant les reliquats d'épaves échouées. Sur un registre à la fois dynamique et érudit, sans être ostentatoire d'ailleurs, empruntant parfois quelques codes propre à la littérature noire, on chemine ainsi dans les rues de Goa et de Bahia de l'époque, on partage le terrible quotidien de ces marins et passagers parcourant les océans et l'on découvre bien évidemment les turpitudes de ces pilleurs d'épaves dans un foisonnement de détails passionnants mettant en exergue toute une succession de confrontations fracassantes s'achevant sur les rivages de cette rude région du Médoc et dont on découvrira l'épilogue au terme d'une scène à la fois grandiose et surprenante. Et puis, au-delà de l'aventure et de l'histoire, il faut prendre en considération tout l'aspect de cette lutte des classes émergeant dans le basculement d'un monde dont la cruauté et la dureté nous ramène à la mondialisation de notre époque qui sacrifie sur l'autel du profit celles et ceux qui n'ont rien. Outre la richesse d’une aventure aux contours historiques, c'est peut-être cette mise en abîme vertigineuse qui fait de Pour Mourir, Le Monde un roman époustouflant qui vous foudroie sur place. 

     

     

    Yan Lespoux : Pour Mourir, Le Monde. Éditions Agullo 2023.

    A lire en écoutant : I Don’t Belong de Fontaines D.C. Album : A Hero’s Death. 2020 Partisan Records.

  • Valerio Varesi : Ce N'Est Qu'Un Début Commissaire Soneri. Ramasser les morceaux.

    ce n’est qu’un début commissaire soneri,valerio varesi,éditions agulloCela fait maintenant huit ans que l’on parcourt chaque printemps les enquêtes du commissaire Soneri avec un décalage de treize ans entre les publications originales en italien et les traductions brillantes de Florence Rigollet permettant au monde francophone de découvrir ainsi l’œuvre de Valerio Varesi profondément attaché à la ville de Parme  dans laquelle officie cet enquêteur atypique que l’on rencontrait pour la première fois sur les berges du Pô dans un roman intitulé Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016) résumant à lui seul cette atmosphère particulière de la région d’Emilie-Romagne. Si on le compare souvent à son homologue français, le commissaire Maigret, Soneri possède davantage de similitudes avec Duca Lamberti, personnage emblématique de l’œuvre de Georgio Scerbanenco pour lequel Valerio Varesi voue une grande estime, avec deux enquêteurs dotés d’un grand sens de la réflexion, voire même de l’introspection, jouant d’ailleurs un très grand rôle dans l’avancée de leurs investigations respectives. C’est souvent en parcourant les rues embrumées de Parme, que le commissaire Soneri distille ses pensées qu’il confie à sa compagne Angela ou à son collègue Nanetti en partageant quelques repas savoureux au Milord’s tenu par son ami Alceste. On le voit, la série comporte quelques éléments récurrents dont l’auteur se garde bien d’abuser, afin d’éviter tout cliché en faisant en sorte de se renouveler constamment au gré de récits tout en nuance qui abordent fréquemment, sur un registre nostalgique, les événements qui ont marqué l’Italie contemporaine que ce soit la lutte des partisans contre le régime fasciste de l’époque avec Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016), Les Ombres De Montelupo (Agullo 2018) et La Maison Du Commandant (Agullo 2021) ou l’emprise de la mafia dont on découvre certains rouages économiques dans Les Mains Vides (Agullo 2019) ainsi que cette corruption endémique des instances dirigeantes que l’on perçoit dans La Pension De La Via Saffi (Agullo 2017). Mais quels que soient les thèmes abordés, ceux-ci s’inscrivent toujours dans un registre imprégné d’humanité avec toutes les failles que cela comporte en menant parfois aux crimes que le commissaire Soneri doit résoudre avec cette approche philosophique nous rappelant que son auteur, avant d’entamer son activité de journaliste à la Repubblica et de romancier, a également étudié la philosophie à l’université de Bologne dont on retrouve d’ailleurs quelques éléments savoureux aux connotations parfois mystiques que ce soit dans La Main De Dieu (Agullo 2022) ou Or, Encens Et Poussière (Agullo 2020). Si la série comporte actuellement 16 volumes avec un dernier ouvrage publié en Italie en 2021, Ce N’Est Qu’un Début, Commissaire Soneri fait figure de neuvième opus en prenant en compte le fait que les trois premières enquêtes du policier parmesan n’ont pas été traduites en français. Avec la photo du village de Manarola ornant la couverture de ce nouveau roman, on ne laisse planer aucun doute quant au fait qu’une partie de l’intrigue se déroulera du côté de la fameuse région de Cinque Terre.


    Par une triste journée hivernale, le commissaire Soneri contemple la pluie qui s’abat sur la ville de Parme. Mais bien vite les affaires reprennent avec la découverte d’un homme qui s’est pendu dans un vieil hôtel abandonné. Dépourvu de pièce d’identité et d’argent, sa tenue élégante et la valise luxueuse que l’on retrouve non loin de lui ont de quoi interpeller le commissaire Soneri qui n’est pas bien certain qu’il s’agisse d’un suicide en dépit des constatations effectuées sur place. Mais ses réflexions tournent court avec l’annonce d’un meurtre à l’arme blanche. On identifie rapidement la victime qui était l’un des dirigeants du mouvement estudiantin qui avait agité Parme à la fin des années soixante. Démarre une enquête imprégnée de nostalgie qui va conduire le commissaire Soneri dans les environs des Apennins émiliens puis du côté de la mer, sur les berges de la Ligurie, non loin des célèbres villages des Cinque Terre.

     

    Même si elle est anecdotique, l'apparition d'une Vespa Primera 125, découverte dans un camp de Roms, nous donne une idée de l'atmosphère de cette intrigue imprégnée d'une certaine mélancolie, ceci plus particulièrement avec les souvenirs de jeunesse d'un commissaire Soneri se remémorant ses virées en scooter du côté de la région de Cinque Terre. Une réminiscence prenant davantage d'essor avec cette enquête qui va le conduire sur les côtes de la Ligurie, durant la période hivernale, en s'éloignant du fameux circuit touristique des cinq villages que l'auteur se garde d'ailleurs bien de citer. Néanmoins, sans jouer sur ce registre touristique, on appréciera les pérégrinations du commissaire Soneri nous permettant d'avoir un autre regard sur cette contrée au charme chargé de spleen. Mais c'est bien évidement autour de la victime, Elmo Boseli, leader charismatique du mouvement étudiant et du 68 parmesan ainsi que de son entourage que l'on prend la pleine mesure d'une Italie qui n'a jamais soldé ses comptes. Il y a bien évidemment les récriminations de ses anciens camarades se désolant de la tournure politique d'un gouvernement Berlusconi faisant alliance avec les partis d'extrême-droite tout en regrettant une jeunesse qui a tourné le dos aux convictions de leurs parents tandis que les jeunes immigrés trouvent davantage de réconfort en intégrant les mouvances fascistes des supporters ultras. Au fil de ses investigations, le commissaire Soneri met donc en évidence cette amertume qui ronge les protagonistes et qui semble même rejaillir sur lui en prenant conscience que le drame se joue dans ce passage de témoin manqué entre deux générations qui ne se comprennent plus. Comme à l'accoutumée, on apprécie ce sens de la nuance qui caractérise l'écriture de Valerio Varesi qui, autour de ces thèmes sensibles, parvient à saisir parfaitement le climat politique, dans le sens large du terme, d'une Italie divisée ne parvenant pas à trouver le chemin de la réconciliation, bien au contraire, ce qui contraint le commissaire Soneri à "ramasser les morceaux" comme il l'évoque au terme d'une enquête pleine de désillusions.

     


    Valerio Varesi : Ce N'Est Qu'Un Début Commissaire Soneri (E Solo L'Inizio, Commissario Soneri) Editions Agullo 2023. Traduit de l'italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : Una Gionrnata Al Mare de Paolo Conte. Album : Concerti (Live). Under exclusive license to Warner Italy. 1985 NAR International Srl.

  • MIGUEL SZYMANSKI : LA GRANDE PAGODE. PAYS A VENDRE.

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    Service de presse.

     

    Ce qu'il y a de réjouissant avec une maison d'éditions comme Agullo, c'est cette propension à explorer des territoires méconnus de l'Europe en nous permettant de faire connaissance avec des auteurs qui ont pris une place prépondérante dans le paysage de la littérature noire et blanche à l'instar des polonais Wojciech Chmilarz, Magdalena Parys et tout dernièrement Maryla Szymiczkowa, nom de plume d'un duo de romanciers mariés à la ville que sont Jacek Dehnel et Piotr Tarczynski. On pense également au croate Jurica Pavičić dont le succès ne se dément pas avec des romans d'une grande envergure tout comme les récits dantesques d'Arpad Soltesz se déroulant en Slovaquie. Même s'il porte, lui aussi, un nom aux consonances slaves, on s'éloigne pourtant radicalement des contrées de l'est avec Miguel Szymanski, pour se rendre du côté du Portugal, terre d'origine de ce romancier travaillant également comme journaliste spécialisé dans le domaine de l'économie. C'est surtout l'occasion d'explorer cette culture lusitanienne méconnue en arpentant notamment les rues de Lisbonne en compagnie du journaliste Marcelo Silva dont on découvrait la première enquête avec Château De Cartes (Agullo évoquant les scandales financiers qui ont conduit le pays au bord de la faillite. Avec La Grande Pagode, second opus de la série, on reste sur le même registre économique pour retrouver Marcelo Silva au prise avec des individus s'opposant à l'accord que le Portugal s'apprête à signer avec La Chine.

     

    Une ministre, se retrouvant dans un situation compromettante, démissionne pour des raisons de "santé". Son chauffeur git sans vie sur la plage da Ursa, la plus occidentale d'Europe continentale. Et puis il y ce yacht luxueux, propriété d'un milliardaire chinois, qui mouille dans les eaux du Tage. Pas de doute, cela bruisse dans les arcanes du pouvoir avec l'imminence de cet accord conclu entre le Portugal et la Chine. Pour les opposants, il s'agit d'une menace sans équivoque planant sur l'autonomie du pays ainsi que sur son environnement, avec la perspective d'une exploitation outrancières des sous-sols. Ces opposants on les trouve aussi bien dans les milieux des hautes instances politiques que dans des quartiers clandestins comme Terroso, situé à la périphérie de Lisbonne. Mais il ne fait pas bon faire barrage aux velléités des dirigeants de l'Empire du Milieu qui n'hésitent pas à employer tous les moyens pour parvenir à leur fin avec l'appui des services secrets du pays. C'est ainsi que l'on peut retirer de la circulation un livre dénonçant l'accord tandis que la journaliste qui l'a rédigé trouve la mort lors d'un contrôle de police. Dans cet atmosphère délétère, Marcelo Silva, de retour au Portugal après s'être exilé quelques mois à Berlin, est bien décidé à rendre justice à son amie, ceci au péril de sa vie.

     

    Même si cela n'est pas indispensable, il est préférable de lire tout d'abord Château De Cartes pour mieux comprendre la trajectoire de Marcelo Silva, et plus particulièrement la raison de son exil à Berlin, et percevoir plus distinctement les rapports qu'il entretient avec Margarida, personnage central du récit précédent, qui plane désormais comme une ombre sur l'intrigue de La Grande Pagode et dont on découvrira le destin au terme d'un épilogue aux tonalités mélancoliques. Sur l'espace de cinq jours, le récit s'articule donc autour de l'imminence de cet accord entre la Chine et le Portugal, permettant à Miguel Szymanski de décrypter tous les enjeux sous-jacents avec l'Empire du Milieu bien évidement, mais également avec l'Europe et les USA qui comptent asseoir leurs influences respectives à l'égard d'un pays dont l'économie fragile le place dans une situation de vulnérabilité. On prend conscience de la situation avec Lúcia Salvador, cette ministre de l'économie démissionnaire qui entretient une relation assez singulière avec son fils Tiago Salvador totalement opposé à l'idée d'un tel accord. Autour de ces deux protagonistes, Miguel Szymanski déroule une enquête policière échevelée, manquant parfois un peu de tenue, mais qui va se révéler beaucoup plus surprenante que ce que ne laisse présager les éléments préliminaires du meurtre déroutant du chauffeur de cette ministre de l'économie déchue. Afin de donner plus d'écho aux enjeux économiques qui se jouent entre les deux nations, Marcelo Silva va retrouver Adriana Zuzarte, ancienne collègue journaliste et ex-compagne, qui vient d'écrire un essai, intitulé La Grande Pagode, dénonçant ce rapprochement sulfureux entre la Chine et le Portugal. Une femme audacieuse qui fait désormais l'objet d'un campagne de dénigrement qui va s'achever de manière dramatique. Mais au-delà des aspects économiques habilement mis en perspective au gré d'une intrigue policière prenant l'allure d'un complot aux contours incertains, on apprécie, une nouvelle fois, cette découverte de Lisbonne en compagnie d'un Marcelo Silva, esthète bon vivant, arpentant les rues de la capitale en mettant en valeur notamment tous les aspects savoureux d’une gastronomie régionale qui ne manquera pas de nous faire saliver. Si Lisbonne est mise ainsi en valeur, Miguel Szymanski va également nous entraîner dans sa périphérie et plus particulièrement du côté du Terroso, un bidonville abritant des clandestins en provenance de l'Angola et du Brésil et où l'on rencontre quelques individus pittoresques à l'image du capitaine Ali ou de Mãe Gorde, un femme aux origines africaines et dont l'influence sur la communauté est aussi respectable que son âge. Il émane ainsi de cette galerie de portraits, un récit au charme indéniable autour duquel se décline une intrigue policière chaotique, mettant en lumière les contours d'un ordre économique mondial qui bouleverse tout sur son passage avec les conséquences tragiques qui en découlent et dont Marcelo Silva est le témoin impuissant.

     

    Miguel Szymański : La Grandę Pagode (O Grande Pagode). Editions Agullo/Noir 2023. Traduit du portugais par Daniel Matias.

    A lire en écoutant : Ó Gente da Minha Terra (piano version) de Mariza. Album : Fado Em Mim. 2011 Warner Music Portugal, Lda under exclusive license to Taberna da Musica, Lsa.

  • Jurica Pavičić : La Femme Du Deuxième Etage. Cadeau empoisonné.

    Capture.PNGService de presse

     

    C'est peu dire que Jurica Pavičić a emporté tant l'adhésion du public que de la critique avec une myriade de prix célébrant L'Eau Rouge (Agullo 2021), premier ouvrage publié en France pour cet auteur croate qui n'a rien d'un débutant puisqu'il a déjà écrit sept romans ainsi qu'une pièce de théâtre et quelques recueils de nouvelles. Avec un tel succès, bon nombre de lecteurs attendaient l'auteur au tournant en se demandant s'il allait réitérer ce coup d'éclat qui s'incarnerait donc avec La Femme Du Deuxième Etage, un roman intimiste publié en Croatie deux ans avant L'Eau Rouge. Les spéculateurs en seront donc pour leur frais mais retrouveront avec un certain plaisir de nombreux thèmes chers au romancier à l'instar du tourisme et de ses excès, notamment dans sa ville natale de Split où se déroule l'ensemble d'un récit qui prend des allures de roman noir autour d'un fait divers somme toute assez ordinaire mais qui transcende pourtant les codes du genre.

     

    Cela fait maintenant onze ans que Bruna purge sa peine à la prison de Pozega, en Croatie, pour le meurtre de sa belle-mère qu'elle a empoisonnée. Elle dort peu, travaille à la cuisine du centre de détention et prend le temps de se remémorer ce destin qui a fait basculer sa vie. Elle se souvient de la ville de Split où elle a toujours vécu, de sa rencontre avec Frane qui aspire à devenir marin. Un coup de foudre suivi du mariage puis de l'emménagement au deuxième étage de la villa des parents de Frane où vit Anka sa belle-mère qui régente encore la vie de son fils. Puis soudainement, il y a cette crise cardiaque dont Anka est victime et qui la rend partiellement handicapée en bouleversant la vie de Bruna qui doit s'en occuper tandis que son mari vogue sur les flots. Peu à peu, le poids devient trop lourd. Et puis il y a cette boîte en fer de mort-aux-rats qui devient la seule lueur d'espoir pour s'extraire de cet enfer quotidien. Bruna se remémore tout cela à un mois de sa sortie de prison. Que va-t-il advenir d'elle ?

     

    Avec La Femme Du Deuxième Etage on change complètement de registre en quittant la dimension du roman chorale qui prévalait avec L'Eau Rouge pour s'immerger dans l'intimité du destin ordinaire de Bruna qui va éclater avec ce fait divers devenant ainsi le point névralgique d'un récit envoûtant où l'on se plait à découvrir les reliefs de cette vie terne que l'auteur égrène avec talent au gré d'une écriture soignée et immersive. Même si l'on connaît dès le début les contours du fait divers qui va conduire Bruna en prison, Jurica Pavičić se concentre dans la première partie du récit sur les raisons qui ont entraîné son personnage central à commettre un tel acte, tandis que la seconde partie du roman s'intéresse au devenir de Bruna à sa sortie de prison avec cet espèce d'exil sur l'île de Dvrenik Veli à proximité de Split. Il émerge ainsi du texte des sentiments ambivalents comme l'empathie que l'on éprouve pour Bruna, cette femme meurtrie qui empoisonne peu à peu sa belle-mère qui n'a pourtant rien d'un monstre. C'est l'intérêt de ce récit bien construit où l'auteur prend soin de rester mesuré en présentant dans l'entourage de Bruna tout une galerie de personnages aux caractères mesurés qui font que l'on évite ainsi l'écueil du récit larmoyant en adoptant la tonalité du fait divers qui se construit autour d'existences banales auxquelles on ne manque pas de s'attacher à l'instar de Suzana, la meilleure amie de Bruna ou de Frane ce mari trop souvent absent qui ne se rend compte de rien avec un mélange d'amour et de lâcheté. Puis au gré de ces décennies qui s'égrènent autour de l'existence de ses protagonistes, Jurica Pavičić ne manque pas d'évoquer, en arrière-plan, quelques péripéties de l'histoire de la Croatie contemporaine qui bouscule parfois, par petites touches, la vie rangée et troublante d'une meurtrière qui aspire davantage à l'oubli qu'au pardon en s'éloignant définitivement de son entourage qui lui rappelle son passé. Un beau roman noir aux accents poétiques qui ne manquera pas de fasciner le lecteur.

     

    Jurica Pavičić : La Femme Du Deuxième Etage. Editions Agullo 2022. Traduit du croate par Olivier Lannuzel.

    A lire en écoutant : Jackson de Slavic Soul Party. Album : New York Underground Tapes. 20212 Barbès Records.